Scène de la série De Concubine à Impératrice.
La Chine se mire dans les séries télévisées qui se multiplient sur le petit écran et les tablettes. Enquêtes policières, comédies romantiques, légendes ou histoire, citadins et campagnards, étrangers en Chine et Chinois à l'étranger : tous les thèmes sont abordés, déclinant le rêve chinois sous tous ses aspects.
CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction
L'instant est dramatique ! Les otages ont chacun un pistolet braqué sur la tempe, mais voilà qu'arrive une escouade casquée, cagoulée, masquée. La surprise horrifiée se peint instantanément sur les visages grimaçants des terroristes… qui se reprennent aussitôt ! Voilà qu'une explosion télécommandée par l'un des terroristes fait diversion ! Il parvient inexplicablement à sauter dans une voiture et à s'enfuir, franchissant tous les barrages du site pourtant sécurisé par des centaines de policiers high-tech. La panique générale est restituée par des plans ultra-courts, une caméra secouée comme un prunier, une musique pathétique, tout en cuivres et percussions.
Je viens de rentrer à la maison, exténué par ma journée de travail. Comme tous les jours ou presque, ma chère et tendre se prélasse devant la télé qui diffuse le dernier épisode de Feihu, « les tigres volants », relatant les aventures du GIGN chinois. Une série TV à succès, comme il en existe des dizaines en Chine, qui met en scène le rêve chinois et déroule un scénario aussi divertissant qu'imprévisible. Le temps de poser mes affaires, et me voilà moi aussi captivé.
Cette fois, l'assaut est donné contre un groupe mafieux cerné dans quelque entrepôt sordide ! Des mouvements de kung-fu ultra-rapides succèdent à des enchaînements de commando. Le malfrat cagoulé est encerclé et maîtrisé. Mais voilà qu'on lui arrache son masque : le terroriste empaqueté est en fait l'amoureuse déguisée de l'un des policiers. Surprise ! Coup de théâtre ! Ce coup de filet n'était en fait que la mise en scène romantico- professionnelle d'une demande en mariage ! Toute l'équipe des gardiens de la paix se rassemble : souhaits, vœux, blagues, fusent de tous côtés. Happy end !
Ce romantisme quasiment insoutenable m'indispose, et je lui demande de changer de chaîne. Elle s'exécute mais c'est pour tomber sur une autre série TV : cette fois, c'est sur la mélodie entraînante d'un rap plagiant La Truite de Schubert que nous découvrons les personnages…
Le héros vient d'être démasqué : ses collègues rassemblés dans un bar ont appris que la jeune fille (hôtesse de l'air de son état) qu'il leur avait présentée comme sa petite sœur (depuis 10 épisodes déjà, me souffle-t-on à l'oreille) est en fait sa petite amie. Blagues, roulement d'yeux suggestifs, reproches gentils, bouderies… La particularité de cette comédie romantique qui se déroule à Shenzhen, ce sont des émoticônes qui apparaissent en incrustation pour expliciter les sentiments des héros à différents moments clés de l'intrigue.
Et déjà l'histoire rebondit ! À peine le héros a-t-il avoué la vérité à ses amis proches, voilà que sa mère vient s'installer dans son appartement, et c'est à elle qu'il doit désormais donner le change... Il présente sa copine comme une simple colocataire qu'il connaît à peine. La mère semble se douter de quelque chose, et la copine est d'une docilité confondante, tandis que le malheureux Don Juan se contorsionne dans son vaudeville, se précipite, jonglant avec les demi-vérités et escamotant prestement les indices dans la salle de bain et la chambre à coucher…
C'est la mode : les Chinois ont pris le pli de leurs collègues étrangers et adorent télécharger des séries ou les regarder en streaming, suivre une intrigue emberlificotée et se laisser entraîner par des personnages qui évoluent à travers des difficultés divertissantes ou tragiques. Je m'inquiète parfois du temps de plus en plus considérable que passe ma bonne amie devant ses divers écrans, ses nuits blanches et ses cernes, ses repas pris distraitement en compagnie du jeune premier, de son amie stewardesse et de son chef irascible… Mais j'évite de lui en parler, parce qu'à chaque fois, ça finit en dispute… Je la soupçonne parfois de scénariser nos querelles sur des schémas inspirés des séries romantiques qu'elle affectionne tant.
Avant cela, c'était Ruraux en métropole, une série de 2010 en 23 épisodes. Le 1er épisode nous avait fait découvrir les personnages. Comme souvent, leurs caractères sont ultra-tranchés. Il y a les bons comme le bon riz, à la fois vertueux, travailleurs, honnêtes, courageux, modestes, raisonnables. Et puis, il y a les autres, violents, paresseux, impulsifs, colériques, cupides et dépensiers (à la fois ! ils dépouillent leurs proches pour aller boire ou s'adonner à des jeux d'argent...). Évidemment, des caractères aussi manichéens produisent une intrigue simplette.