Dernière mise à jour à 09h11 le 12/10
Les manifestations massives contre le Traité transatlantique de libre échange (TTIP/TAFTA selon ses acronymes anglophones) en cours de négociation entre l'Union européenne (UE) et les Etats Unis révèlent les profondes inquiétudes des citoyens européens quant aux conséquences économiques, sociales, sanitaires, environnementales et culturelles de la ratification d'un tel accord.
A Strasbourg, siège du Parlement européen (PE) comme dans de nombreuses villes du Vieux Continent mais aussi en Amérique du Nord, la journée internationale de mobilisation, samedi, a été un franc succès pour le collectif "Stop Tafta" qui regroupe près de 500 organisations. A Berlin, contre toute attente, la manifestation a même rassemblé près de 250 000 personnes.
Les opposants à ce traité pour le moins controversé, qui vise à créer un grand marché transatlantique de 850 millions de consommateurs touchant près de 60% de la production économique du globe, sont de plus en plus nombreux à faire entendre leurs voix et à dénoncer le contenu mais aussi la manière opaque dont les dirigeants le négocient.
Ils s'alarment des conséquences économiques, sociales, sanitaires, environnementales et culturelles que provoquerait dans leur vie quotidienne la ratification d'un tel accord. L'ampleur de la mobilisation témoigne de la fracture croissante entre les peuples européens et les institutions de Bruxelles qui conduit à une montée de l'euroscepticisme et à une paralysie de la construction européenne.
Une pétition, lancée il y a un an dans le cadre de l'Initiative Citoyenne Européenne (ICE) - qui prévoit de demander à la Commission européenne (CE) d'agir sur la base d'un million de signatures récoltées dans au moins sept Etats différents - a déjà rassemblé plus de trois millions de signatures.
Elle a été remise cette semaine à l'Exécutif européen qui refuse néanmoins de la prendre en considération. Bruxelles argue en effet que le dispositif de l'ICE a été créé pour faire des propositions de loi, non pour les contester. Une décision que la Cour européenne des droits de l'homme est en train d'examiner.
"Le TTIP cherche à imposer ses exigences afin de faciliter l'entrée de produits américains agricoles, sanitaires, pharmaceutiques, chimiques dans l'UE en abaissant les barrières douanières. Les compagnies veulent imposer l'harmonisation des normes entre les deux blocs. Je crois que le scandale Volkswagen montre bien que ce n'est pas du tout une bonne idée!", se révolte la célèbre figure de l'altermondialisme Susan George.
"Si le TTIP venait à être voté, cela mettrait les Etats-Unis au milieu d'un véritable empire. Ce pays serait alors dans une position géopolitique absolue, et cela signifierait la mort de la démocratie", n'hésite pas à affirmer la Franco-américaine, auteur de nombreux ouvrages sur la mondialisation, notamment de "Nous, peuples d'Europe" et de "Leurs crises, nos solutions".
Au delà du déni de démocratie, les opposants tirent également la sonnette d'alarme quant aux conséquences économiques, sociales et politiques du TTIP. Le professeur associé à l'institut d'études européennes de l'Université Paris 8 Jacques Nikonoff n'y va pas par quatre chemins. "Le TAFTA, c'est un OTAN économique qui se met en place. C'est le résultat direct d'un intense travail mené par les lobbies américains et européens, financés par des grands groupes industriels, de service ou financiers", affirme l'économiste.
"Cet accord vise à redonner le leadership mondial aux Etats-Unis en faisant de l'UE son arrière cour. Si par malheur cet accord était conclu, une nouvelle vague de libéralisation s'abattrait sur la planète", poursuit encore l'universitaire.
L'organisation Wikileaks est d'ailleurs partie en croisade contre le Traité transatlantique au mois d'août. Son fondateur, Julian Assange, a lancé une récolte de fonds destinée à offrir une récompense de 100 000 dollars à tout lanceur d'alerte qui révélerait le texte du traité.
"Derrière ce traité, les intérêts personnels se déchaînent comme nous l'avons vu récemment lors du siège financier imposé au peuple grec. Le TTIP affecte la vie de chaque Européen et engage l'Europe à long terme dans un conflit avec l'Asie", prévient le cybermilitant, toujours réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres depuis qu'il a fait fuiter sur son site plus de 400 000 documents confidentiels relatifs aux modes opératoires de l'armée américaine en Irak.
Un nouveau round de négociations du TTIP doit débuter fin octobre. La CE, qui mène les négociations, espère un accord d'ici le début de l'année prochaine. Mais le PE doit arrêter une position. En cas d'accord avec Washington, il aura le pouvoir de rejeter l'accord comme il l'a fait en 2012 avec l'ACTA, un précédent accord commercial avec les Etats-Unis, le canada et d'autres pays.
Autant dire que les prochaines sessions du PE à Strasbourg promettent d'être houleuses. En juin, le dossier du TTIP avait déjà semé la pagaille au PE, contraignant son président à reporter le vote. Dans ce contexte, les opposants au traité entendent bien jouer toutes les cartes et accentuer la pression sur leurs élus.
Par Claudine Girod