Dernière mise à jour à 08h37 le 20/04
A quatre jours du premier tour de l'élection présidentielle française de 2017, "tous les scénarios sont possibles", a estimé Madani Cheurfa, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) dans une interview accordée récemment à Xinhua.
Les quatre candidats sont au coude à coude, selon les derniers sondages parus le week-end dernier. "Emmanuel Macron obtiendrait 23% des voix, Marine Le Pen 22%, suivis par Jean-Luc Mélenchon et François Fillon ex-aequo à 20%. Or, il y aurait 34% d'électeurs se disant encore indécis, et cette marge rend tous les scénarios possibles", a-t-il expliqué.
Cette élection présidentielle française est selon lui "inédite" en raison de la part d'électeurs indécis, mais aussi par le taux d'abstention qui pourrait être particulièrement élevé. "Selon un dernier sondage paru le week-end dernier, entre 72 et 77% des personnes interrogées déclarent être sûres d'aller voter, contre 78 à 80% habituellement", a-t-il indiqué.
M. Cheurfa a rappelé qu'il y a traditionnellement pour ce scrutin une cristallisation des intentions de vote "dès la mi-mars" et que "deux favoris se distinguent nettement dans les sondages, dont les pronostics sont bien souvent confirmés lors du vote, à l'exception de l'élection de 2002".
"Le climat des affaires lors de cette campagne présidentielle accroît un sentiment de coupure chez de nombreux Français vis-à-vis des élites politiques"
Cette incertitude autour de l'élection présidentielle de 2017 s'explique notamment par les multiples affaires, dont celles touchant le candidat du parti Les Républicains, François Fillon, et celle du Front national, Marine Le Pen. "Le climat des affaires lors de cette campagne présidentielle accroît un sentiment de coupure chez de nombreux Français vis-à-vis des élites politiques", estime M. Cheurfa.
Selon un récent sondage, 82% des Français sondés déclaraient que les élites politiques ne s'occupaient pas de leurs problèmes, mais uniquement de leur propre situation personnelle. Ce "divorce" se matérialise lors de cette élection par un fort taux d'incertitude de la part de l'électorat, analyse M. Cheurfa.
Pour ce qui est des tendances au sein des électeurs, bien que l'indécision soit forte, le secrétaire général du CEVIPOF a indiqué qu'il y avait une tendance à la "stabilisation" des intentions de vote observée lors des derniers sondages d'opinion, notamment pour le candidat du mouvement En Marche!, Emmanuel Macron, avec 67% de ses électeurs déclarant qu'ils ne changeront pas d'avis "alors qu'ils n'étaient que la moitié précédemment". Même tendance pour le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, dont 63% des électeurs se disent sûrs de leur choix.
Les électeurs de François Fillon et Marine Le Pen restent nettement certains de leur choix à plus de 80% chacun, a-t-il indiqué.
"La forte progression de Jean-Luc Mélenchon s'explique par son talent d'orateur et le fait qu'il incarne le vote utile à gauche"
Interrogé sur la forte progression de Jean-Luc Mélenchon, désormais au coude à coude avec François Fillon, M. Cheurfa y voit deux explications : son talent d'orateur et le fait qu'il ait réussi à convaincre une partie de l'électorat de gauche qu'il incarne le vote utile. "La fonction tribunitienne de Jean-Luc Mélenchon explique en grande partie son ascension récente."
Il occupe la place de celui qui parle pour les "sans-voix", les oubliés, les perdants, a expliqué le secrétaire général du CEVIPOF. "Cette fonction a longtemps été celle de Jean-Marie Le Pen, puis reprise par sa fille. Cette fois, c'est lui qui est parvenu à l'incarner", a-t-il précisé. Jean-Luc Mélenchon a également un "très grand talent d'orateur" qui s'est notamment illustré lors des débats télévisés, souligne M. Cheurfa.
L'autre explication de la hausse de popularité du candidat de La France insoumise réside selon lui dans le fait qu'il incarne le vote utile à gauche. "Il a dépassé Benoît Hamon (Parti socialiste) et les électeurs qui veulent absolument la gauche au pouvoir se reportent sur lui, car il est plus à même de gagner", a affirmé M. Cheurfa.
Concernant le traditionnel clivage politique français entre gauche et droite, le secrétaire général du CEVIPOF estime que les deux candidats en tête, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ont chacun joué la carte du dépassement. "Ils tentent tous deux de dépasser ce clivage, mais chacun sur des thématiques différentes."
Emmanuel Macron se positionne entre bénéficiaires et perdants de la mondialisation en maintenant le cap sur une Europe forte, ouverte, tandis que Marine Le Pen s'inscrit dans un clivage entre société ouverte et société fermée, selon M. Cheurfa, qui note que "les deux candidats se qualifient hors système, mais ne se disputent pas d'électeurs". "Ils ont deux définitions [très différente] de ce qu'est 'être Français' : l'ouverture pour Emmanuel Macron, le repli pour Marine Le Pen", explique-t-il.
"Si Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon sont élus, c'est la fin de l'Union européenne"
"Les différences entre les quatre candidats sont essentielles sur les plans économiques et par rapport à l'Union européenne", pour M. Cheurfa. Selon lui, "si Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon sont élus, c'est la fin de l'Union européenne", car tous deux veulent en sortir "en dénonçant de nombreux accords comme le TAFTA et le CETA".
A l'inverse, Emmanuel Macron et François Fillon souhaitent la renforcer, avec des réserves pour le candidat des Républicains quant à son élargissement. "Tous deux veulent faire en sorte que la France soit un moteur de l'Union européenne, surtout après le Brexit", analyse le secrétaire général du CEVIPOF.
M. Cheurfa a rappelé qu'il y avait un "troisième tour" à l'élection présidentielle : les élections législatives qui suivent en juin. "Traditionnellement, elles viennent confirmer l'élection présidentielle", a-t-il indiqué, précisant que cette année, ces élections vont être particulièrement importantes.
Si le candidat des Républicains l'emporte, les élections législatives vont certainement jouer leur rôle traditionnel de "confirmation". Mais en cas de victoire d'Emmanuel Macron, qui dispose de peu d'élus puisque son mouvement est très récent, il y aurait une répartition entre élus de droite et de gauche.
Dans le cas de Marine Le Pen, il pourrait y avoir un "sursaut" avec des élus quasi unanimement opposés à sa politique, rendant sa gouvernance très difficile, voire impossible. Le Conseil constitutionnel français, garant de la conformité constitutionnelle des lois, présidé par l'ancien chef de la diplomatie française du gouvernement de François Hollande, Laurent Fabius, "pourrait jouer un rôle déterminant", explique M. Cheurfa.
Interrogé sur les risques des programmes portés par les candidats d'extrême droite et d'extrême gauche, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, M. Cheurfa estime qu'il y a toujours des différences entre les promesses de campagne, nécessaires pour être élu, et l'application concrète des programmes. "Les Français ont aussi une mentalité frondeuse, de fortes mobilisations dans les rues sont à prévoir et peuvent influer sur la politique", a estimé le secrétaire général du CEVIPOF.