Retour à l'agriculture primitive
Grâce au modèle de Shi Yan, une série de fermes AMAP d'agriculture biologique ont fait leur apparition. À l'heure actuelle, sur les 300 fermes environ que compte la Chine, 50 se trouvent dans les environs de Beijing.
Shi Yan a choisi de gérer une ferme, c'est parce qu'elle s'inquiète de la qualité de la nourriture et de la pollution du sol. « Si l'on vit dans un environnement sain, on ne se préoccupe pas de tout ça. Mais de nos jours, on utilise beaucoup trop d'engrais pour augmenter les rendements. Le sol se détériore et après quelques années il n'est plus propre à rien. »
Le projet AMAP consiste à distribuer des légumes bio aux consommateurs sans passer par les intermédiaires de la grande distribution. Consommateurs et producteurs acceptent ainsi tacitement de partager les risques mais aussi les économies réalisées. Le projet AMAP a pour objectif de développer l'agriculture durable en mettant l'accent sur le recyclage, l'autonomie de la production et le développement durable dans le respect de l'écosystème.
« Partager la récolte » combine trois aspects : la vente directe, le respect de l'environnement et la consommation locale. Les consommateurs versent une avance, ce qui permet aux producteurs de cultiver sans emprunter aux banques. « Ce modèle s'adapte bien aux fermes petites et moyennes qui manquent de fonds de roulement », explique Shi Yan.
Shi Yan ne se fait pas d'illusions et elle est consciente de ses responsabilités. « Les vendeurs sont en même temps les producteurs. Ils font face aux consommateurs, donc ils portent la responsabilité de leurs produits », explique-t-elle.
« Manger des produits locaux selon la saison », tel est le concept préconisé par le projet. Selon Shi Yan, ce concept encourage à renoncer autant que possible aux produits d'importation, car on se rend compte qu'au cours de la cueillette, du traitement et du transport, les aliments perdent une grande partie de leur valeur nutritive, et que le risque d'une mauvaise qualité des produits est plus élevé.
« Lorsque tu donnes de l'argent aux paysans, tu peux constater en direct le changement que cela provoque dans ta région. Si les paysans de Beijing se mettent à produire des récoltes plus saines à l'avenir, les citadins et surtout l'environnement ne pourront qu'en bénéficier. »
Shi Yan et son mari Cheng Cunwang ont tous deux fait leurs études auprès de maître Wen Tiejun, un expert de l'agriculture, des régions rurales et des paysans. Ils se sont mariés dans une ferme. Tous les aliments de leur banquet de mariage provenaient de cette ferme.
Ils ont aussi à leur actif la publication de la traduction de l'ouvrage de Franklin Hiram King Farmers of forty centuries. À en croire Shi Yan, ce livre qui traite des recherches sur le modèle agricole oriental est l'un des facteurs à l'origine de la renaissance de l'agriculture bio. Il y une centaine d'années, F. H. King qui était alors chef de la Division de la gestion des sols des États-Unis, s'était rendu à Shanghai. Il fut fortement impressionné de voir les bateaux transporter les excréments des Shanghaiens vers les banlieues agricoles où ils allaient servir d'engrais.
« À l'époque, les villes chinoises n'étaient pas dotées de réseaux d'égouts qui étaient monnaie courante dans les pays occidentaux. Pourtant il semble qu'il n'y avait pas plus d'épidémies. Des méthodes adaptées avaient cours, comme par exemple de manger des aliments bien cuits et de recycler les ordures », commente Shi Yan.
Au XIXe siècle, on a commencé à réfléchir sur un modèle agricole éco-durable. Ce qui avait piqué la curiosité de l'auteur, c'est que la Chine nourrit sa population nombreuse depuis des millénaires, mais qu'ici, au contraire des États-Unis, les terres n'ont pas perdu la moitié de leur teneur naturelle en carbone organique en seulement 200 ans d'exploitation agricole.
« À cette époque, on utilisait plus d'engrais chimique aux États-Unis qu'en Chine, et c'est alors que sont apparus les mouvements de protection de l'environnement pour dénoncer les problèmes écologiques qui commençaient à apparaître. »
Ce que regrette Shi Yan, c'est qu'aujourd'hui, malgré des techniques de laboratoire bien plus avancées qu'il y a 100 ans, l'intelligence des paysans n'a pas fait de progrès.
« Lorsque l'on constate une maladie des plantes, les paysans d'aujourd'hui ne pensent qu'aux pesticides. Ils ne réfléchissent pas à leur origine, que la raison en sera peut-être un problème du sol, qu'il faudrait changer de culture, ou améliorer le sol, ou encore aérer les serres... »