Dernière mise à jour à 15h11 le 14/03
Les "deux sessions" annuelles qui se déroulent actuellement en Chine sont marquées par les efforts accrus des dirigeants en faveur d'une stabilisation de la croissance et l'adoption de réformes en faveur de l'offre au sein de la deuxième économie mondiale, estiment des experts américains.
La Chine a fixé son objectif de croissance 2016 entre 6,5 et 7%, après les 6,9% enregistrés l'an passé, a annoncé le Premier ministre Li Keqiang lors des sessions de l'Assemblée nationale populaire et de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC).
Cette fourchette, a dit M. Li, est en ligne avec l'objectif du gouvernement d'achever la construction d'une société raisonnablement prospère à tous égards et elle prend en considération le besoin de promouvoir des réformes structurelles.
C'est également la première fois en vingt ans que la Chine se fixe une fourchette de croissance plutôt que de tabler sur un taux précis.
Cette décision est "plutôt un choix stratégique" du gouvernement chinois, note David Dollar, chercheur associé à la Brookings Institution et ancien responsable à la Banque mondiale et au Département américain du Trésor.
"Je pense que le gouvernement chinois veut montrer qu'il est persuadé que la croissance va se stabiliser", poursuit-il lors d'un entretien récemment accordé à Xinhua. "Il souligne ainsi que la croissance va peut-être ralentir un peu, mais qu'elle restera assez stable".
Bien que cette fourchette soit plus basse que le taux enregistré l'an dernier, "cela envoie un signe fort aux marchés selon lequel le gouvernement est déterminé à conserver ce rythme de croissance à un taux supérieur à son potentiel", a estimé jeudi dans une étude l'Institut de la finance internationale (IIF), une association mondiale regroupant plus de 500 banques, compagnies d'assurances et sociétés financières.
Pour Tamim Bayoumi, chercheur associé à l'Institut Peterson, un think tank basé à Washington, le monde doit s'habituer au fait que la Chine s'oriente vers "un taux de croissance plus lent mais plus stable". Elle est en effet entrée dans une phase de transition vers "une économie davantage basée sur la consommation", tournant le dos à un vieux modèle de croissance axé sur les investissements dans l'industrie manufacturière et les exportations.
Les politiques fiscales et monétaires devraient se montrer plus souples cette année en vue de soutenir la croissance, selon le document de travail présenté par le gouvernement.
Le ratio déficit budgétaire/PIB de cette année a été fixé à 3%, contre 2,3% en 2015. Le gouvernement prévoit également que la croissance de la masse monétaire M2 (qui couvre l'argent liquide en circulation et tous les dépôts) soit de 13%, un point de pourcentage plus élevé que l'objectif 2015.
M. Dollar applaudit les autorités chinoises pour les réductions d'impôts et l'augmentation des dépenses de santé et d'éducation annoncées dans le document du travail du gouvernement. Pour lui, une politique budgétaire s'avère très efficace pour stimuler une croissance économique ralentie.
La Chine "a beaucoup de latitude pour augmenter sa relance budgétaire" si besoin est, étant donné que son ratio dette/PIB est bas, a-t-il dit.
Ben Bernanke, ancien président de la Réserve fédérale, a également recommandé à la Chine de compter davantage sur sa politique budgétaire pour soutenir la croissance en cette difficile phase de transition.
"Contrairement à l'assouplissement monétaire, qui fonctionne en baissant les taux d'intérêt domestiques, la politique budgétaire peut à la fois soutenir une demande globale et une croissance à court terme sans provoquer une fuite des capitaux hors du pays", a écrit mercredi M. Bernanke dans un blog. "Une approche fiscale ciblée servirait également les objectifs de réforme et de rééquilibrage de l'économie à plus long terme".
Le document de travail du gouvernement réaffirme également l'importance des réformes structurelles de l'offre, une notion populaire proposée par les décideurs chinois en novembre dernier comme le dernier remède en date pour remédier aux maux économiques engendrés par des années de croissance vertigineuse.
"Les réformes structurelles doivent se concentrer sur le règlement des problèmes de surproduction, l'amélioration de la productivité, la baisse de la pression fiscale sur les entreprises et le fait de faciliter l'accès au crédit, de corriger les déséquilibres du marché immobilier et de renforcer la supervision financière", résume l'IIF.
M. Dollar qualifie les réformes structurelles de l'offre d'essentielles si la Chine entend continuer de se développer, ajoutant qu'il a été particulièrement impressionné par les annonces sur la réforme du hukou (permis de résidence urbain) et l'ouverture de davantage de pans du secteur des services aux investisseurs étrangers en Chine.
"Le document de travail du gouvernement ne donne pas beaucoup de détails. Il faudra attendre de voir cette année des plans plus complets, mais ça va dans une très bonne direction", indique M. Dollar.
Pour lui, les mots choisis dans le document de travail pour évoquer la question des "entreprises zombies" illustrent le fait que le gouvernement souhaite mettre en œuvre les réformes des entreprises d'Etat et réduire les surcapacités de production de façon progressive et prudente.
"La protection des intérêts des employés des entreprises d'Etat sera une tâche importante lors de la prochaine étape" des réformes, a affirmé samedi Xiao Yaqing, directeur de la Commission de contrôle et d'administration des biens publics, lors d'une conférence de presse tenue en marge de la session parlementaire annuelle.
Ces réformes se feront principalement via des fusions et des acquisitions, et non de fermetures, a assuré M. Xiao, ajoutant que la Chine ne connaîtrait pas de recrudescence des licenciements comme cela avait été le cas lors des réformes des entreprises publiques dans les années 1990.
Puisque ces restructurations passeront principalement par des fusions, l'IIF dit ne pas prévoir d'effondrement ou de pertes massives qui pourraient menacer l'emploi ou créer un risque systémique en Chine.
David Dollar pense qu'il est bon pour la Chine qu'elle réduise progressivement ses surcapacités de production, même si "pas mal de travailleurs vont perdre leur emploi". Mais il met en garde contre l'existence d'un risque dans le secteur financier si la Chine n'agit pas assez vite dans ce domaine.
"Les banques détiennent beaucoup de prêts contractés par les entreprises zombies. Si vous fermez les entreprises, vous faites une sorte de nettoyage en retirant les mauvais prêts des bilans des banques. Ca, il faut le faire assez rapidement ", a-t-il dit.
En matière de réformes financières, l'IIF note que le document de travail du gouvernement chinois reconnaît leurs avantages à long terme, mais "le rythme de la libéralisation financière pourrait être plus progressif qu'initialement prévu".
Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque populaire de Chine, la banque centrale, a déclaré samedi dernier que la réforme du système de régulation financière chinois était à l'étude et qu'il n'y avait pas de consensus mondial à ce sujet.