Dernière mise à jour à 15h41 le 14/08
Le 26 décembre 2013, le premier ministre japonais Shinzo Abe en pèlerinage au sanctuaire Yasukuni, à Tokyo. |
Les raisons cachées
Pourquoi les perceptions de l'Allemagne et du Japon sur leurs actes dans la Seconde Guerre mondiale sont-elles si différentes ? Le documentaire apporte plusieurs éléments de réponse à cette question.
Premièrement, la différence des punitions imposées à l'Allemagne et au Japon à l'issue du conflit, qui entraîne deux résultats divergents. Après la guerre, l'Allemagne était occupée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'URSS. Les Allemands étaient bien conscients qu'en tant que vaincus, ils devraient faire face à la réalité, à moins de risquer un traitement plus sévère encore. Ainsi, la plupart des Allemands ont choisi de se détacher du passé et de s'orienter vers l'avenir.
Au fil de l'histoire, avec l'approfondissement du mouvement de dénazification mené par les États-Unis et l'URSS en Allemagne et visant à y éradiquer l'esprit nazi, mais aussi les efforts de leaders allemands tels que Konrad Adenauer, victimes des nazis avant de prendre le pouvoir, les informations sur les crimes commis par les nazis pénétraient progressivement tous les esprits. Tout cela a amené les Allemands à assumer leurs responsabilités.
Contrairement à l'Allemagne, le Japon n'a pas été sévèrement sanctionné. La raison en est que dès la fin de la guerre, le conflit s'amorçait entre les États-Unis et l'URSS et donnait lieu à des divergences de vues entre les deux pays vainqueurs. D'autre part, le Japon était occupé par les seuls États-Unis, qui avaient donc la pleine souveraineté sur les sanctions applicables. La guerre froide a commencé alors que les Américains hésitaient encore sur le régime à appliquer au Japon. Avec le début de la guerre de Corée, les États-Unis ont décidé d'utiliser le militarisme japonais pour l'opposer à l'URSS et à la Chine, d'où les sanctions assez légères imposées au pays. Par exemple, des militaristes japonais ont pu se maintenir dans les milieux politiques. Dans ces conditions, il était difficile d'imaginer que le gouvernement japonais reconnaîtrait ses responsabilités dans la guerre. Et la nation japonaise dans son ensemble n'a pas pu regarder en face son histoire de guerre ni en tirer les leçons.
D'autre part, l'Allemagne a éliminé radicalement les sympathisants du nazisme dans son administration, tandis que le Japon n'a pas conduit de répression des éléments pro-militaristes. À la fin de la guerre, le chef nazi Adolf Hitler s'était suicidé, et les dignitaires du régime étaient en fuite ou s'étaient rendus aux Alliés. L'Allemagne a établi un système juridique destiné à définir les responsabilités sur un plan légal. Le pays a encore renforcé l'éducation des adolescents de sorte que les générations futures n'oublieraient pas les crimes du passé. En Allemagne, la loi sur l'éducation stipule explicitement que les manuels de l'histoire doivent comprendre suffisamment de contenus sur l'histoire de l'époque nazie, que les professeurs doivent expliquer en détail l'histoire du nazisme, et s'opposer à tout propos faisant l'apologie du IIIe Reich et de la Shoah.
Le cas du Japon est différent. D'une part parce que l'empereur japonais, inspirateur du militarisme qui déclencha la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, n'a jamais reconnu son crime de guerre. Dans la Déclaration impériale de fin de la guerre prononcée par l'empereur japonais le 15 août 1945, celui-ci disait : le Japon a « mis fin à la guerre » parce que « la situation mondiale n'est pas favorable au Japon et que les Alliés utilisent une bombe dévastatrice. Dans l'intéret de ses sujets, le Japon est obligé d'accepter la déclaration des quatre pays (États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, URSS) ». C'est-à-dire que le Japon se vit obligé de « mettre fin à la guerre » et non pas de capituler. L'empereur japonais a prétendu dans sa déclaration avoir déclenché la guerre pour la survie du Japon et la paix en Asie de l'Est. Une déclaration qui, loin de reconnaître une responsabilité, prend la défense de la guerre japonaise.
Les États-Unis de leur côté n'ont pas destitué l'empereur du Japon, ils ont conservé le système impérial aux fins de faciliter leur occupation du pays. Comme l'empereur du Japon est le chef de guerre suprême, maintenir son titre, c'est préserver le pilier spirituel du militarisme. Dans le contexte de la guerre de Corée, utiliser le Japon pour contrer la Chine devient la première préoccupation stratégique des États-Unis. Finalement c'est le changement de conjoncture internationale qui offre une bonne occasion à la résurrection du militarisme japonais.
Nobusuke Kishi, d'abord chargé du pouvoir économique dans le Mandchoukouo, l'État fantoche contrôlé par l'Empire du Japon entre 1932 et 1945, puis responsable de l'économie et de la coordination du ravitaillement pendant la guerre dans le cabinet Tojo Hideki, n'a pas été inquiété. Il a adhéré en 1955 au premier parti du Japon, le Parti libéral et démocratique, à tendance conservatrice. Deux ans plus tard, il était élu premier ministre du Japon.
C'est ainsi que des militaristes accédaient au pouvoir au Japon. Les droitistes se sentaient pousser des ailes. Le retour vers le militarisme est devenu tendance au Japon.
Nobusuke Kishi a préconisé la révision de la Constitution du Japon, le renforcement de l'armée japonaise et la renaissance du militarisme au Japon. Shinzo Abe, premier ministre japonais actuel, héritier de la pensée de son grand-père maternel Nobusuke Kishi, a révisé la Constitution pacifique, levé l'interdiction d'autodéfense collective, défiant les pays voisins. Sa politique est expansionniste en mer de Chine orientale et il se pique d'intervenir dans le dossier de la mer de Chine méridionale, créant des tensions dans la région. Dans ses mémoires, Shinzo Abe écrit : « Mon ADN politique vient plutôt de mon grand-père maternel ». Une phrase qui révèle sans ambiguïté les origines de la renaissance du militarisme japonais.