Dernière mise à jour à 10h40 le 20/07
Plus de trois ans après leur arrivée de la République centrafricaine (RCA) où ils avaient fui les violences entre les groupes Séléka et anti-Balaka, les 73.000 retournés tchadiens vivant au sud du pays et dans la capitale font face à un risque de détérioration de leurs conditions de vie, selon le dernier bulletin humanitaire publié par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) au Tchad, en collaboration avec les partenaires humanitaires.
Le retrait progressif, faute de financements, de plusieurs acteurs humanitaires des sites de retournés du sud depuis 2015, couplé à l'absence de programmes de développement et de solutions durables, a entraîné la réduction des standards humanitaires minimums dans tous les secteurs, particulièrement dans les sites de retournés.
De 57 organisations humanitaires présentes au sud en 2015, seuls 24 acteurs y travaillent encore. De plus, la durée de mise en œuvre des projets en cours ne dépasse pas les six prochains mois. De nombreux projets se terminent en juin 2017, notamment ceux de l'allocation du Fonds central de réponse d'urgence sous le chapitre des urgences sous-financées.
Les résultats d'une évaluation conjointe multisectorielle, conduite en mai dernier par les acteurs humanitaires, sous la direction de l'OCHA, dans le département de la Grande Sido (au sud du Tchad frontalier avec la RCA), révèlent que des besoins importants persistent dans tous les secteurs. Alors que la saison des pluies bat son plein au sud, les abris d'urgence construits en 2014 pour une durée de six mois sont aujourd'hui délabrés, après environ trois ans. Les retournés n'ont pas accès aux matériaux de construction et la dégradation des abris les exposent aux intempéries et maladies.
En termes de sécurité alimentaire, le niveau de vulnérabilité des retournés est très élevé. Plus de 166.000 personnes sont en insécurité alimentaire dont plus de 6.000 dans la phase sévère dans la région du Moyen Chari, selon les données du Cadre harmonisé de mars 2017. A ces personnes s'ajoutent plus de 34.000 retournés.
En 2016, les distributions de coupons alimentaires avaient seulement couvert six mois de l'année et, de janvier à fin mai 2017, les retournés ont bénéficié de seulement deux distributions de coupons. "L'accès à la terre pourrait permettre aux retournés de pratiquer l'agriculture et renforcer ainsi leur sécurité alimentaire d'autant que le département de la Grande Sido est l'une des zones agropastorales du Tchad par excellence", indiquent les agences humanitaires. L'augmentation de la population due à l'arrivée des réfugiés centrafricains et des retournés tchadiens dans la zone a ainsi accru la pression sur les ressources naturelles qui sont insuffisantes.
L'éducation souffre également, de façon indirecte, des conséquences de la réduction de l'assistance alimentaire. Sans nourriture, il est difficile pour les parents de maintenir leurs enfants à l'école. De plus, le manque d'enseignants qualifiés, de matériels didactiques et d'infrastructures scolaires ainsi que la grève des enseignants depuis le début de l'année scolaire ont des conséquences néfastes sur l'éducation des enfants. En guise d'exemple, l'école primaire de Maïngama compte près de 2.000 élèves (dont 773 filles) avec seulement quatre enseignants formés et huit maîtres communautaires.
Des cas de protection sont rapportés dans les zones d'accueil des retournés. Des stratégies néfastes d'adaptation sont régulièrement rapportées telles que la prostitution, le mariage précoce et le travail des enfants. A ces cas de protection s'ajoutent l'absence de documents d'état-civil ou d'identité et les abus y relatifs.
Néanmoins des progrès ont été réalisés : sur les 73.000 retournés tchadiens vivant au sud du pays, environ 6.300 ont été enregistrés par le HCR afin d'obtenir des papiers officiels d'identité et 17.195 extraits de naissance ont été délivrés aux retournés et communautés hôtes. Le gouvernement s'est saisi de cette problématique d'obtention de documents d'identité via la constitution d'un Comité interministériel.
Pour ce qui est de la nutrition et de la santé, l'on note une faible prise en charge des patients due à la rupture des médicaments et intrants et à l'absence de structures et ressources humaines et matérielles nécessaires. Au village d'accueil de Sido où il y a deux centres de santé, des guérisseurs et accoucheuses traditionnels essaient de répondre aux besoins sanitaires de plus de 17.000 personnes. Les problèmes tels que ruptures fréquentes de médicaments et l'absence de chaîne de froid ont amoindri les capacités des services de santé. Certains centres de santé, tel que celui de Maïngama, construit en bâche durant la phase d'urgence, nécessitent des réhabilitations, en plus du manque de personnel qualifié. Plus de 60 cas de malnutrition aigüe sévère ont été enregistrés entre janvier et février dans ce centre de santé.
"Sans donner aux retournés la capacité de répondre par eux-mêmes à leurs besoins prioritaires, les conditions de vie de ces personnes continueront à se détériorer", prévient l'OCHA. Le gouvernement tchadien avait initié, en collaboration avec les acteurs humanitaires, un Plan de réponse global en faveur des retournés tchadiens de la RCA (2015-2019) dont l'objectif était de "passer de l'assistance humanitaire à une autonomisation durable".
Mais la mise en œuvre de ce plan na pas été effective, faute de lancement officiel et donc de financement, alors qu'il constitue un document clé pour entamer les solutions durables. La mise en place de ces solutions durables, dont la création et le renforcement des moyens d'existence, est capitale pour sortir les retournés de la dépendance actuelle à l'assistance humanitaire. Dans ce cadre, l'accès à la terre est essentiel afin de garantir l'autosuffisance et les opportunités économiques pour ces populations ayant perdu leurs moyens d'existence. L'accès aux services essentiels est également une priorité pour les populations du Sud.
De plus, la fermeture de la frontière affecte sérieusement toutes les régions frontalières avec la RCA. En guise d'exemple, plus de 660 opérateurs économiques étaient recensés à Sido et généraient environ 100 millions de FCFA par semaine dans les caisses de l'État avant la crise. Aujourd'hui, seulement une cinquantaine d'opérateurs économiques sont présents dans la localité. La réouverture de la frontière pourra bénéficier non seulement aux retournés et réfugiés désirant retourner en RCA mais permettra également de revitaliser les circuits économiques entre les deux pays.
Si une assistance humanitaire est nécessaire pour apporter de l'aide vitale, une programmation intégrée entre acteurs humanitaires et acteurs de développement, en partenariat avec le gouvernement, est nécessaire, plaide le document de l'OCHA.
"Les bailleurs de fonds sont encouragés à accompagner cette dynamique qui permettra à la fois de répondre aux besoins urgents et de lancer des activités de résilience en renforçant le développement local. Cela bénéficiera aux réfugiés, aux retournés et aux populations locales", conclut-il.