Dernière mise à jour à 11h23 le 31/10
Les disputes de longue date entre le Japon et ses deux voisins -- la Chine et la Corée du Sud -- concernant le dossier des "femmes de réconfort" ont grandement entravé le développement des liens du Japon avec ses voisins, et ce dossier est devenu un symbole de la manière dont le Japon fait face à son Histoire.
Les historiens sud-coréens ont estimé que plus de 200.000 femmes, venant principalement de la péninsule coréenne, de Chine, des Philippines et d'autres pays d'Asie du Sud-Est ont été forcées en esclavage sexuel pour les soldats impériaux japonais lors de la Seconde Guerre mondiale. La plupart d'entre elles étaient coréennes, la péninsule coréenne étant à l'époque sous le joug du colonialisme japonais.
D'un âge moyen de 90 ans, le nombre de ces esclaves sexuelles encore vivantes aujourd'hui diminue graduellement, rendant encore plus urgent pour elles que le gouvernement japonais leur offre des excuses sincères et une compensation appropriée.
Le refus du gouvernement de Shinzo Abe de s'excuser reflète son obstination à nier les atrocités commises par le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale ainsi que la réticence du gouvernement à reconnaître l'Histoire.
À l'approche de la réunion trilatérale entre les dirigeants de Chine, du Japon et de Corée du Sud ce weekend, le gouvernement japonais devrait réfléchir à sa perception de l'Histoire, faire face à ses crimes de guerre et gérer comme il se doit le dossier des "femmes de réconfort" afin de réparer les liens avec ses principaux voisins.
LES VICTIMES MEURENT, MAIS LES ATROCITÉS RESTENT
Très peu d'anciennes esclaves sexuelles sont encore en vie aujourd'hui, uniquement 47 en Corée du Sud et une vingtaine en Chine, selon de précédents rapports.
Les survivantes sont de moins en moins nombreuses, mais la douleur de ces expériences traumatisantes continue de les hanter. Un grand nombre des survivantes traumatisées étaient trop apeurées pour partager leurs expériences tragiques avec le public, et ont vécu dans la honte et la maladie pendant des années avant de décéder.
Lee Ok-seon, Sud-coréenne de 88 ans, est une des courageuses anciennes esclaves sexuelles qui ont partagé leur histoire. En automne 1942, la jeune Lee alors âgée de 15 ans a été entraînée dans un camion par deux étrangers et a plus tard été envoyée dans une "station de réconfort" pour les soldats japonais dans le nord-est de la Chine.
Elle a été forcée de fournir des services sexuels à environ 50 soldats japonais par jour dans une petite cellule sans fenêtre de 4 m². En plus des abus sexuels, elle a été menacée, battue et lacérée par des coups de couteaux, lui laissant des cicatrices encore visibles aujourd'hui sur ses bras et ses jambes.
Lee Ok-seon a enduré trois années de souffrances dans cette station avant que le Japon ne capitule. Ces abus avaient laissé des coupures et des ecchymoses sur tout son corps ainsi que des maladies sexuellement transmissibles, qui l'ont faite souffrir de manière constante les années suivantes. Les traitements intensifs qu'elle a dû subir l'ont rendu stérile, et l'ont même obligée à se faire retirer l'utérus.
Après avoir retrouvé leur liberté, le destin de la jeune Lee et des autres esclaves sexuelles restait incertain, car elles ignoraient où aller. "Comment aurais-je pu rentrer chez moi? Le fait que j'avais été une 'femme de réconfort' pouvait se lire sur mon visage. Je ne pouvais pas regarder ma mère en face", a confié Mme Lee à Xinhua dans une interview.
Elle vit maintenant à la "Maison du partage", maison de repos proche de Seoul pour les anciennes esclaves sexuelles. La "Maison du partage" a été construite en 1992 et fondée par des associations de citoyens sud-coréennes.
Kang II-chul, qui vit aussi dans cette maison de repos, a déclaré que son souhait le plus cher était de recevoir des excuses et une compensation de la part du Japon. "Si je n'y parviens pas, mes enfants et mes petits-enfants continueront de réclamer justice", a-t-elle indiqué.
Lundi, une exposition de photos sur les esclaves sexuelles chinoises ayant survécu s'est ouverte à Shanghai. Elle est constituée de photos prises en 2014 par Guo Yijiang, journaliste du Wenhui Daily qui a voyagé à travers la Chine pour rendre compte des conditions de vie des 24 anciennes esclaves sexuelles, dont quatre sont décédées entre le moment de la prise de photos et l'ouverture de l'exposition.
"Ces dames vont nous quitter, mais nous ne pouvons pas oublier cette période de l'Histoire", a lancé M. Guo.
Chun Ka-lim, professeur de l'Université sud-coréenne de Ho Seo, a déclaré : "Les 'femmes de réconfort' survivantes vieillissant, il ne leur reste plus beaucoup de temps. Il est très important pour elles d'entendre des excuses sincères venant du Japon dans les années qui leur restent".
LE JAPON DOIT DES EXCUSES ET UNE COMPENSATION
De nombreux documents historiques prouvent la souffrance qu'ont subie les esclaves sexuelles aux mains des soldats japonais il y a plus de 70 ans, dont une série de vidéos et de documents dévoilés en août par les archives nationales chinoises, fournissant une nouvelle preuve de ces crimes monstrueux.
En avril 2014, un total de 89 documents, dont 25 dossiers en rapport avec les esclaves sexuelles, ont révélé que forcer les femmes à l'esclavage sexuel et mettre en place des "stations de réconfort" étaient des actions officielles de l'armée d'invasion japonaise dans les pays d'Asie lors de la Seconde Guerre mondiale.
Ces dossiers ont révélé les conditions de vie dans ces "stations de réconfort", dont certains détails des viols horribles et les ratios terrifiants entre les soldats japonais et les "femmes de réconfort" -- à certains moments, 1 esclave sexuelle pour 200 soldats -- dans un district de Nanjing (ou Nankin), capitale chinoise de l'époque.
Malgré ces preuves irréfutables, le Japon, sous la direction de Shinzo Abe, n'a jamais présenté d'excuses pour la souffrance des esclaves sexuelles, et n'a jamais fait face de manière honnête à son Histoire en temps de guerre.
Dans sa déclaration du mois d'août marquant le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Premier ministre révisionniste ne s'est pas directement excusé pour le passé du Japon, ne faisant uniquement référence qu'aux déclarations de remords et d'excuses des précédents gouvernements.
Il a également évité de parler du dossier des esclaves sexuelles, ne déclarant seulement : "Nous garderons le passé gravé dans nos cœurs, alors que la dignité et l'honneur de nombreuses femmes ont été blessés lors des guerres du XXe siècle".
Fin septembre, la Corée du Sud et le Japon ont tenu une neuvième session de dialogues officiels pour aborder le sujet des "femmes de réconfort", mais aucun accord n'a été atteint, a rapporté l'agence de presse sud-coréenne Yonhap.
Certaines des esclaves sexuelles encore vivantes et des membres des familles de celles décédées tiennent des rassemblements presque chaque semaine devant l'ambassade du Japon à Séoul, et ce depuis janvier 1992, exhortant le Japon à faire face à l'Histoire et à résoudre ce dossier.
La Corée du Sud a exhorté le Japon à s'excuser de manière sincère et à offrir une compensation pour les atrocités sexuelles perpétrées en temps de guerre, mais le Japon a prétendu que toutes les questions concernant l'esclavage sexuel avaient été résolues avec le traité de 1965, qui normalise les liens diplomatiques entre Séoul et Tokyo.
Dans la dernière tentative du gouvernement Abe d'étouffer l'Histoire, trois ministres du cabinet japonais et 70 députés sont allés payer leurs hommages au sanctuaire controversé de Yasukuni lors de son festival de printemps annuel, alors que M. Abe, bien qu'il ne s'y soit pas rendu, y a envoyé une offrande rituelle. Ce sanctuaire honore 14 criminels de guerre de classe A de la Seconde Guerre mondiale.
En réponse aux récentes visites au sanctuaire, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a exhorté le Japon à faire face de manière sincère et à réfléchir sur son Histoire d'agression, ainsi qu'à regagner la confiance de ses voisins asiatiques et de la communauté internationale avec des actions concrètes.
IL EST TEMPS POUR LE JAPON D'AGIR
La Chine, le Japon et la Corée du Sud tiendront dimanche leur première réunion trilatérale au niveau de leurs dirigeants après une interruption de trois ans, mettant fin à une période d'impasse diplomatique en raison de tensions régionales accrues. Elle offrira une opportunité précieuse pour ces trois pays de réparer leurs relations. "
Nous espérons que toutes les parties traiteront de manière appropriée les questions sensibles, y compris celles liées à l'Histoire, avec le désir d'y faire face honnêtement et de regarder vers l'avenir", a déclaré lundi Mme Hua à propos de ce prochain sommet.
La réunion, à laquelle le Premier ministre chinois Li Keqiang doit participer, présentera une plateforme de discussions couvrant tout un éventail de sujets, y compris les questions historiques.
En marge de cette réunion trilatérale, la présidente sud-coréenne Park Geun-hye et M. Abe se verront lundi en tête-à-tête, une première depuis l'investiture de Mme Park en février 2013.
Les deux dirigeants devraient échanger leurs points de vue sur les questions bilatérales en suspens, y compris la question des "femmes de réconfort", a confié le principal secrétaire présidentiel sud-coréen pour les affaires étrangères, Kim Kyou-hyun.
Bae Kyoung-han, professeur d'histoire à l'Université de Silla en Corée du Sud, a dit espérer que la réunion trilatérale constitue une opportunité importante pour résoudre cette question des "femmes de réconfort".
"Le Japon doit changer son attitude sur la question des 'femmes de réconfort' et présenter des excuses", a noté M. Bae, qui a également suggéré que les historiens des trois pays travaillent ensemble afin de trouver une solution au cas où le Japon ne présenterait pas d'excuses lors de ce sommet trilatéral.
Que le Japon profite ou non de cette opportunité de traiter correctement cette question sensible sera crucial pour le futur développement des relations trilatérales, selon des experts.
Alors que la Chine et d'autres pays font des efforts pour respecter et honorer l'Histoire, le Japon ne devrait pas aller dans la direction opposée. Il est temps pour le pays d'apprendre de ses voisins et de regagner leur respect.