Au moment où certains partenaires sociaux présents sur l'échiquier politique tunisien touchaient tout récemment un "changement partiel de positions" du côté du parti islamiste Ennahdha (majoritaire au pouvoir), l'opposition conduite par l'Union pour la Tunisie et la Front populaire – deux coalitions respectivement du centre-droit et de la gauche – semblent être solides dans leur détermination à renverser l'actuel gouvernement et dissoudre l'Assemblée constituante.
Le rôle "à double tranchant" de la centrale ouvrière
Considérée localement comme la plus "puissante" force intermédiaire entre les différentes fractions politiques du pays, la centrale syndicale (l'Union générale tunisienne du Travail, UGTT) s'engageait en période de crise à faire réunir les islamistes du parti Ennahdha (qui conduit le pouvoir) et les partis phares de l'opposition autour d'un dialogue national susceptible de trouver le bout du tunnel après une escalade de la violence (assassinats politiques) et du terrorisme qui campe actuellement du côté de la frontière centre-ouest avec l'Algérie.
Lundi, le secrétaire général de l'UGTT Houcine Abassi a rencontré le numéro un d'Ennahdha Rached Ghanouchi qui a présenté les propositions pratiques de son parti majoritaire pour sortir de l'actuelle crise avec le minimum possible de dégâts. Des propositions devant être transmises à l'opposition après quoi une seconde réunion est prévue pour ce mercredi entre les deux hommes.
"Les concertations vont vers le lancement bientôt d'un dialogue national global", a déclaré M. Abassi. "Nous avons soumis, a-t-il ajouté, un ensemble de propositions et d'idées à la direction de l'Union générale tunisienne du Travail qui va à son tour consulter certains acteurs politiques et sociaux à cet effet".
D'après le patron de la centrale ouvrière (UGTT), "certaines propositions de Ghanouchi concordent avec l'initiative de l'Union alors d'autres non". Et de reconnaître que "Ennahdha a relativement changé de position (..) mais ses concessions ne sont pas bien claires".
Dans ce sens, force sera de détecter le rôle "à double tranchant" de l'UGTT qui se positionne à la charnière entre Ennahdha et ses alliés d'un côté et l'opposition avec toutes ses " couleurs" de l'autre : un constat dégagé par bon nombre d' observateurs locaux.
En effet, l'initiative de l'UGTT porte sur certains points pouvant être un terrain d'entente entre les différents acteurs politiques : préserver la Constituante en l'obligeant à suivre un agenda précis et bien déterminé pour le reste de la phase transitoire (approbation de la Constitution, élaboration du Code électoral, finalisation de l'élection de l'instance électorale), dissoudre l'actuel gouvernement et désigner une personnalité nationale consensuelle à la tête d'un cabinet de technocrates indépendants, constituer un comité d'experts chargé de réviser le texte de la Constitution et en présenter un autre à l'Assemblée pour approbation dans un délai de quelques semaines (..).
Bien qu'elle n'ait pas imposé de conditions préalables au dialogue avec les autres partis de l'opposition, Ennahdha "n'a pas adopté l'initiative de l'UGTT dans son intégralité", a avoué le patron de la centrale syndicale Houcine Abassi à l'issue de son entretien avec Rached Ghanouchi.
Espérant voir Ennahdha tout comme l'opposition "faire des concessions", M. Abassi a rassuré que l'initiative de l'UGTT se veut "une action modératrice qui prend en considération l'intérêt de la patrie (..) tout retard pour engager un dialogue sérieux et trouver des compromis, a-t-il poursuivi, ne fait qu'aggraver la situation du pays, affecter son économie et compromettre sa sécurité".
L'opposition tient à renverser le pouvoir islamiste
Orchestrant depuis l'assassinat le 25 juillet passé de l' opposant et député Mohamed Brahmi, l'opposition conduite par le " Front de salut national" (qui regroupe les démocrates modernistes de l'Union pour la Tunisie et les militants d'extrême-gauche du Front populaire) veille d'arrache-pied à déstabiliser les pendules des islamistes et de ses deux alliés au pouvoir : (des mouvements sociaux, sit-in, marches de protestations et appel à la désobéissance civile).
Leader du Parti des Travailleurs et l'un des fondateurs du Front populaire, Hamma Hammami a confirmé mardi lors d'une conférence de presse l'existence d'une sérieuse volonté à se joindre au dialogue convoqué par l'UGTT à moins qu'il "pourrait s' avérer constructif pour cette phase cruciale".
Toutefois, M. Hammami a conditionné le retour au dialogue avec la reconnaissance d'Ennahdha de ses erreurs. "Nous sommes prêts à dialoguer à condition que le mouvement Ennahdha accepte la formation d'un gouvernement restreint dirigé par une personnalité nationale indépendante".
Une condition peu appréciée pour ne pas dire refusée par Rached Ghanouchi et son conseil de la "Choura" (parlement interne). Réuni dimanche dans la soirée à huis clos, ce conseil a appuyé la décision du chef du mouvement rejetant un cabinet apolitique. " Nous restons attachés à un gouvernement d'unité nationale présidé par Ennahdha", a insisté le président du conseil Fathi Ayadi.
Autre détracteur des islamistes au pouvoir, l'Union pour la Tunisie a subsisté à défier Ennahdha en signifiant clairement ne pas reculer sur ses revendications principalement la dissolution de l'Assemblée et l'actuel gouvernement.
Qualifiant de "critique" l'actuelle situation en Tunisie, les secrétaires généraux des partis composants l'Union pour la Tunisie ont confirmé la responsabilité du cabinet dirigé par Ennahdha dans la persistance de la crise qui secoue le pays. "Ledit gouvernement avait refusé de satisfaire les revendications populaires émanant du dialogue national", lit-on dans un communiqué officiel de l'Union pour la Tunisie.
Cette coalition – qui regroupe les principales figures de proue de l'opposition dont l'ancien Premier ministre post- révolution Béji Caïd Essebsi – plaide farouchement pour un gouvernement restreint indépendant de 15 membres devant diriger le pays durant la phase restante de la transition et assurer des élections transparentes et crédibles sans pour autant se porter candidats à l'échéance électorale.
Dans l'attente de voire des concessions se concrétiser et trouver un terrain d'entente entre les islamistes au pouvoir et les laïques de l'opposition pour sortir d'une crise politique et socioéconomique pendue, l'Union générale tunisienne du Travail essaye toujours d'être à la même distance des deux camps " rivalisés" afin d'éviter la reproduction du scénario égyptien qui faisait de plus en plus l'objet de bon nombre d'alertes émanant d' analystes, experts et commentateurs tunisiens et étrangers.