Dernière mise à jour à 13h44 le 02/02
Nous sommes à Funabashi, une ville de l'agglomération de Tokyo : dans une pièce calme où flotte une lourde odeur d'encens, Kaichi Watanabe, un moine bouddhiste, chante des sutras pour commémorer le premier anniversaire de la mort d'une femme. Ce moine de 41 ans peut ressembler à un saint homme traditionnel du Japon. Sauf qu'il n'a pas été envoyé par un temple, mais commandé par la famille de la défunte par le biais d'une entreprise de « location de moines » à croissance rapide, qui a provoqué la colère des traditionalistes qui mettent en garde contre la marchandisation de la religion.
Selon l'employeur de Kaichi Watanabe, une société du nom de Minrevi basée à Tokyo, la demande pour son service de livraison de moines a grimpé depuis son lancement en mai 2013, car de plus en plus de Japonais perdent leurs liens avec les temples locaux - et perdent aussi la foi dans un système de dons jugé opaque. Le moine sonne ensuite une petite cloche traditionnelle et s'incline devant les parents alors que la cérémonie de 30 minutes s'achève dans la maison de la famille en deuil, près de Tokyo. « Il y a beaucoup de temples dans le quartier, mais je ne savais pas où appeler », a déclaré le fils de la femme décédée, qui a demandé à rester anonyme. « En outre, je ne savais pas combien je devais faire pour mon don. Mais là, il y a un système de tarification claire ».
En effet, par un simple clic de souris, les clients peuvent louer un moine de chez Minrevi pour 35 000 Yens (300 Dollars US), en fonction de la cérémonie. Le géant du commerce local Aeon avait déjà envoyé des ondes de choc à travers les cercles bouddhistes en 2010 quand il avait lancé un service qui contenait une liste de prix pour l'introduction de clients dans les temples pour les services funéraires. Ce système de prix ouverts est entré en collision avec le système ancien dans lequel les moines recueillent des dons, connu sous le nom d'ofuse, en contrepartie de l'exécution des cérémonies. Mais il y a eu un malaise croissant au sujet du système pour le moins trouble qui laisse le montant à la discrétion des familles qui ont besoin de faire plusieurs dons après un enterrement, et cela pendant plus d'une décennie.
Les temples bouddhistes du Japon comptent sur les dons pour faire des rénovations, qui peuvent coûter plusieurs millions de Dollars US, mais des critiques on fait valoir qu'ils sont plus intéressés par l'augmentation de leurs recettes que par l'offre de conseils spirituels. Chiko Iwagami, membre exécutif de la Fédération bouddhiste du Japon, a reconnu que, de fait, certains moines ont indûment exigé des quantités spécifiques d'argent pour des services commémoratifs, portant atteinte à la confiance du public. « Cela ne tient pas compte de l'esprit du dons », a déclaré M. Iwagumi, notant que les moines ne sont pas censés attendre des récompenses financières pour l'exercice de leurs fonctions.
Le gouvernement japonais ne garde aucune trace de l'identification religieuse de ses citoyens, mais la participation à des rituels liés à la fois au bouddhisme, ainsi qu'au shintoïsme local -les deux grandes religions dans le pays- est commune dans tout le Japon. Certaines entreprises offrent également des services de prêtres shintoïstes. Mais l'attachement à la religion connaît néanmoins un déclin certain. Ainsi, selon Kenji Ishii, professeur de religion à l'Université Kokugakuin de Tokyo, la population vieillit rapidement et les petites communautés rurales rétrécissent, ce qui fait que quelque 30% des 75 000 temples bouddhistes du Japon risquent de fermer d'ici 2040. « Les Japonais ont maintenu des liens avec les temples pour les funérailles et d'autres types d'événements communautaires liés, et non pour des raisons religieuses », a-t-il ajouté. « Les dirigeants bouddhistes doivent maintenant penser à la façon dont ils vont gérer leurs sectes avec la diminution des revenus. Mais il semble qu'ils ne veulent pas regarder la réalité en face ».