Dernière mise à jour à 08h53 le 17/01
Un des défis que doit relever le Rwanda depuis la fin du génocide est l'unification du pays qui est profondément divisé depuis 1994.
Le génocide mené par les extrémistes hutus, a fait près d'un million de morts, pour la plupart des membres de la minorité tutsi et des hutus modérés, et a laissé de nombreux veufs et orphelins.
Claudette Mukamanzi, habitante du district de Bugesera, est toujours hantée par la mémoire du massacre. Tous les membres de sa famille ont été assassinés et elle-même a failli mourir.
Mais cette mère de quatre enfants a participé à un rassemblement plus de deux décennies après le génocide et a pris dans ses bras l'assassin de sa famille et a décidé de lui pardonner.
La réconciliation, à laquelle ont participé des centaines de personnes à la paroisse catholique de Nyamata dimanche dernier, faisait partie des efforts nationaux pour soigner le traumatisme et réunir les gens.
Témoignant devant la congrégation, les cicatrices profondes de Mme Mukamanzi sur son corps en disaient long: elle avait 14 ans quand un voisin et un autre homme ont attaqué sa famille avec des machettes.
Outre l'armée et les milices, beaucoup de civils hutus, encouragés par la propagande extrémiste, ont participé au génocide, surtout dans les zones rurales, où de nombreux villageois hutus auraient tué leurs voisins tutsis.
"J'ai été tailladée à sept endroits différents. Je les connais (les attaquants), j'en a rencontré certains et les souvenirs sont insupportables", a déclaré Mme Mukamanzi.
"Mais je vous ai pardonné", a affirmé Mme Mukamanzi à un de ses assaillants nommés Jean-Claude Ntambara, et l'a pris dans ses bras devant toute la congrégation.
A cette occasion, 166 anciens auteurs du génocide se sont réconciliés avec les survivants après avoir fait acte de repentance pendant six mois accompagnés du père rwandais, Ubald Rugirangoga.
Les génocidaires ont ainsi confessé leurs crimes et demandé le pardon pour leurs crimes.
Le prêtre de la paroisse de Nyamata, Emmanuel Nsengiiyumva, a déclaré que 252 anciens auteurs du génocide inculpés se sont inscrits aux cours de guérison, qui impliquent que les génocidaires expriment des remords et demandent pardon aux survivants blessés ou dont les proches ont été tués pendant le génocide.
M. Ntambara, habitant du même district, était un agent de police pendant le génocide. Il a confessé avoir tiré sur beaucoup de gens.
"J'ai tué beaucoup de gens et j'en ai blessé beaucoup. J'ai demandé pardon à ceux dont je me souviens", a-t-il poursuivi.
Il a été condamné à 20 ans de prison pour ses actes par les tribunaux traditionnels Gacaca, mais a effectué des travaux communautaires pendant sept ans avant d'être libéré.
"Après le génocide, j'ai évité ceux que j'avais blessés parce que je me sentais coupable mais maintenant, après réconciliation, nous nous prenons même dans les bras", a témoigné M. Ntambara.
"Nous avons commencé à coexsiter de nouveau. Les gens sont capable de vivre normalement", a-t-il ajouté.
Comme M. Ntambara, beaucoup de génocidaires vivent en harmonie avec les survivants et ont promis de ne jamais commettre de nouveau des crimes atroces.
John Rwikangura, responsable de l'association des survivants du génocide (IBUKA) dans le district, a salué les survivants qui arrivent à pardonner à leurs anciens bourreaux, qualifiant l'acte d'héroïque.
Le district de Bugesera a connu certains des meurtres les plus brutaux du génocide.
L'église de Nyamata a été transformée en un lieu de mémoire, environ 10.000 Tutsis ayant été brutalement tués à l'intérieur du monument. Les restes de plus de 45.000 victimes y sont désormais enterrés.
Une nouvelle église s'élève désormais à environ 50 mètres de l'ancienne église paroissienne de Nyamata.
Le père Rugirangoga, qui a initié l'initiative de la confession et de la guérison, estime que le pardon est un cadeau précieux que les anciens génocidaires peuvent recevoir des survivants.
Initiée en 2008 par la paroisse de Mushaka, dans l'ouest du Rwanda, cette initiative menée par l'église tente de compléter les efforts de réconciliation du gouvernement déployés au travers de la Commission nationale d'unité et de réconciliation.
La commission a été créée en 1999 par une loi parlementaire afin de promouvoir l'unité et la réconciliation entre les Rwandais suite au terrible événement.
Son mandat est de changer fondamentalement les efforts de la mauvaise gouvernance basée sur la discrimination et l'exclusion grâce à des campagnes de sensibilisation.
Fidele Ndayisaba, secrétaire exécutif de la commission, a encouragé dimanche les églises à adopter l'unité et la réconciliation en valorisant l'expression de la vérité.
Le Baromètre de la réconciliation rwandaise 2015 mené par la commission a montré que jusqu'à 92,5 % des Rwandais sentent aujourd'hui l'unité et la réconciliation dans le pays et estiment que les citoyens vivent en harmonie.
L'étude a été réalisée auprès de 12.000 habitants de 450 villages des 30 districts du pays.
Mais cette même étude a également montré que 27,9 % des Rwandais continuaient de se considérer selon leurs ethnies (Hutu, Tutsi, Twa), alors que 25 % d'entre eux continuent de percevoir des divisions et une idéologie génocidaire parmi leurs compatriotes.